La diplomate met en avant la volonté française et européenne d'assurer l'approvisionnement en ressources stratégiques, comme le lithium, pour faire face de manière autonome à la transition énergétique. Elle soutient que l'EDL est une technique de grande avancée technologique mais encore en développement...
Par Vesna Marinkovic U./ENERGIA BOLIVIA/21AVRIL2023
1. La France va exploiter l'une des plus grandes mines de lithium d'Europe, on parle de 34 000 tonnes/an, peut-on développer cette information, s'il vous plait ?
Oui, en octobre 2022, la société française Imerys, leader mondial spécialiste des minéraux pour l'industrie, a annoncé le lancement d'un grand projet d'extraction de lithium baptisé « Emili » dans l'est de la France. Contrairement à l'extraction du lithium en Bolivie, en Argentine ou au Chili, qui s'obtient en récupérant les minéraux présents dans les saumures, ce projet consiste à extraire le lithium des minéraux de la roche, comme en Australie ou en Chine. L'objectif est de produire quelque 34 000 tonnes d'hydroxyde de lithium par an à partir de 2028, pendant une durée d'au moins 25 ans.
Ce projet répond à la volonté française et européenne d'assurer notre approvisionnement en ressources stratégiques pour faire face aux enjeux de la transition énergétique de demain. Il permettra d'approvisionner le marché européen des batteries lithium-ion et prévoit d'équiper quelque 700 000 véhicules électriques par an. Ce projet garantira à la France le développement de sa souveraineté économique dans un secteur clé dont la demande devrait continuer à croître fortement dans les années à venir. Elle s'inscrit également dans le cadre du Plan France 2030, une stratégie industrielle soutenue par le Gouvernement qui fixe l'ensemble de la chaîne de valeur de la batterie en France, des matériaux de base au recyclage.
2. Des articles de presse indiquent que l'exploitation de ce gisement, par la société Imerys, permettra à l'Europe de produire de manière autonome des batteries au lithium et d'éliminer sa dépendance vis-à-vis de la Chine en la matière, que pouvez-vous nous en dire ?
Les constructeurs européens de voitures et de batteries dépendent actuellement fortement des importations en provenance de pays tiers. Pour cette raison, la Commission européenne a publié le mois dernier une proposition de règlement, appelée Critical Raw Material Act (CRM Act). Le texte comprend un large éventail d'actions visant à réduire la dépendance de l'Europe vis-à-vis des pays tiers en termes de matières premières critiques pour ses secteurs stratégiques, en cherchant à renforcer les chaînes de valeur et en même temps en établissant des mécanismes de coordination entre les États membres pour garantir les approvisionnements.
Etant donné que la demande de batteries devrait être multipliée par 14 d'ici 2030, les besoins de l'UE ne pourront pas être satisfaits avec une production basée uniquement sur le sol européen. D'autres pays riches en lithium ont intérêt à participer à la diversification des approvisionnements de l'Europe, ainsi qu'à créer une chaîne de valeur complète. Si la loi CRM exige qu'un minimum de 10 % de l'extraction d'un métal critique ait lieu en Europe, elle stipule qu'aucun pays tiers ne peut fournir plus de 65 % de la consommation annuelle d'un métal. Par ailleurs, dans le cadre de son plan climat qui vise la neutralité carbone d'ici 2050, et suite à une initiative de la France lors de sa présidence, l'Union européenne a annoncé la fin des voitures à moteur thermique d'ici 2035.
D'autre part, la Commission européenne a lancé une stratégie baptisée "Global Gateway" depuis 2021, dotée d'un budget de 300 000 millions d'euros, pour soutenir le financement des infrastructures principalement dans les pays nouvellement industrialisés et en développement. Cette stratégie vise à renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement européennes et à diversifier nos échanges dans plusieurs domaines clés comme le numérique, l'énergie ou les transports.
4. En Europe, la Serbie, en raison de pressions environnementales, a dû abandonner le projet Rio Tinto qui devait exploiter le plus grand gisement de lithium d'Europe. Sous quelles mesures de sécurité environnementale l'exploitation du lithium s'opérera-t-elle en France ?
Il existe des certifications internationales sur l'exploitation minière responsable auxquelles les entreprises peuvent souscrire. En ce sens, des scientifiques du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) ont mis au point une méthode géochimique qui établit « l'empreinte » du lithium présent dans les batteries pour le tracer et déterminer son origine. A terme, cela devrait offrir des garanties pour une extraction plus durable du point de vue social et environnemental.
De manière générale, les futurs investissements en France pour la transition énergétique devront être alignés sur la Stratégie nationale de réduction des émissions de carbone (SNBC), la feuille de route nationale pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Pour minimiser Émissions de CO2 liées à l'extraction des matières premières et à la fabrication des batteries, les industriels français peuvent s'appuyer sur un mix électrique national décarboné et appliquer des solutions innovantes de logistique de transport.
"Étant donné que la demande de batteries devrait être multipliée par 14 d'ici 2030, les besoins de l'UE ne pourront pas être satisfaits avec une production basée uniquement sur le sol européen"
5. Pensez-vous que l'exploitation du lithium est généralement très controversée, notamment en raison des enjeux liés à la consommation d'eau ?
De toute évidence, dans le cas de l'extraction du lithium, la question de la consommation d'eau doit être soigneusement considérée. Cependant, les entreprises françaises opèrent selon des normes environnementales, sociales et de gouvernance qui visent à atténuer les effets des activités minières sur l'environnement.
En raison du changement climatique, le cycle de l'eau en France a subi d'importantes modifications qui affectent de nombreux secteurs comme l'agriculture, l'énergie, le tourisme ou l'industrie. Le président Emmanuel Macron a récemment annoncé le lancement d'un "plan sobriété eau" avec plus de 50 mesures. Ce plan prévoit la gestion future de l'eau avec pour objectif principal d'atteindre 10 % d'économies d'eau dans tous les secteurs d'ici 2030.
Parmi les grandes lignes d'action de ce plan, on peut souligner la volonté d'aller vers une plus grande sobriété dans les secteurs très consommateurs d'eau, la réutilisation des eaux usées, la transformation du secteur agricole et la mise en place d'une tarification progressive pour favoriser la réduction de la consommation d'eau.
6. Avez-vous des informations sur la technologie d'extraction directe du lithium (EDL) que le consortium chinois utilisera pour extraire le carbonate de lithium en Bolivie ?
Dans le cas de l'extraction du lithium dans les saumures, la technique d'extraction directe (EDL) représente une grande avancée technologique qui maximise les rendements et a une empreinte carbone beaucoup plus faible que les autres techniques traditionnelles. Bien que cette technique soit encore en phase de développement, elle représente une piste très intéressante.
La France est l'un des pays les plus avancés dans cette technologie. Plusieurs entreprises françaises ont développé leurs propres techniques d'extraction directe et certaines opèrent déjà dans la région dans des salars en Argentine et au Chili. Les entreprises françaises sont toujours très intéressées à participer au projet bolivien d'extraction et d'industrialisation du lithium bolivien, dans la mesure où elles perçoivent un intérêt de la part des Boliviens.
La France dispose d'une grande capacité en matière de recherche et d'innovation sur l'ensemble de la chaîne de valeur du lithium grâce à des institutions internationalement reconnues. Je pense notamment au Commissariat à l'énergie atomique spécialisé dans la transition énergétique (CEA-Liten) et au BRGM, évoqué plus haut. Ces deux organismes témoignent de la coopération entre la France et la Bolivie dans le domaine des minerais, une histoire franco-bolivienne qui a débuté dans les années 1970, lorsque l'ORSTOM (aujourd'hui Institut de Recherche et Développement, IRD) a participé à l'étude de quantification de l'Uyuni réserves salines.
Interview parue dans ENERGIA BOLIVIA https://www.energiabolivia.com/index.php?option=com_content&view=article&id=10063&Itemid=114
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